Festival BACH de lausanne
Baroque Academy

Commentaire personnel

Ce commentaire est repris de l’album discographique Il vespro della beata vergine, par Jean Tubéry et l’ensemble La Fenice (Ligia, 2019)

MONTEVERDI : VESPRO DELLA BEATA VERGINE
Les Vêpres de la Vierge (1610)
Par Jean Tubéry

Témoin en hommage du passé et œuvre visionnaire en son temps, le regard porté tel une tête de Janus en arrière et en avant, les Vêpres de la Vierge de Claudio Monteverdi se sont imposées, au fil des décennies de redécouverte de la musique ancienne, en tant que chef-d’œuvre phare du répertoire sacré du primo seicento,« à la naissance du baroque ».

La contrepartie de cette notoriété fut parfois, il est vrai, au détriment de chefs-d’œuvre ou de compositeurs non moins légitimes en leur temps, restés pourtant dans l’ombre de ces figures de proue dont on fit au fil du temps les « bustes de grands compositeurs »… par les aléas de l’évolution du goût esthétique à travers les siècles.

Mais qu’ont-elles de plus, ces fameuses Vêpres, pour avoir traversé plus de quatre siècles sans prendre une ride, à l’image d’une Gioconda qui vient à peine d’esquisser un sourire ?…

Son compositeur publie son œuvre en 1610, après ses cinq premiers livres de madrigaux, ainsi qu’ une « fable en musique » ( Favola in musica ) aux touches autobiographiques du nom d’Orfeo , qui lui confère à l’âge de 43 ans la réputation de compositore moderno, décrié par ses contemporains archaïsants (Artusi) et prisé en revanche par les princes-mécènes de la Péninsule. Il est alors engagé et protégé par le duc et sa cour de Mantoue, puis convoité par la République de Venise, où il va devenir, trois années seulement après la publication de ses Vesperaemaestro di capella di San Marco ( maître de chapelle à la basilique St Marc ).

Sa musique arrive encore aux oreilles de sa Sainteté le pape Paul V, auquel il dédie ce même recueil de « Messe & Vêpres à la Vierge accommodée pour les sanctuaires et la chambre des princes ». Véritable offrande musicale avant la lettre, il y fait montre de sa maîtrise de tous les genres et styles musicaux, anciens et modernes (qu’il qualifie dans la préface de son 5ème livre de madrigaux de première et seconde pratique), à même de convaincre toute l’Italie de sa faconde créatrice, sinon de son génie musical.

Ainsi, l’œuvre s’érige-t-elle à l’image d’une cathédrale gothique : occultant par ses dimensions et sa complexité la chapelle romane adjacente sur laquelle elle fut jadis construite (tel le cantus firmus grégorien, sur lequel l’œuvre est entièrement écrite, ornée de ses figures rhétoriques modernes), transformant la lecture polyphonique des textes sacrés séculaires, à l’image de la lumière qui se métamorphose au contact des vitraux polychromes.

A l’instar d’une cathédrale, on peut la voir et l’admirer de l’extérieur, dans son imposante carrure, et ses harmonieuses proportions ; on peut aussi s’approcher du tympan, et se rendre compte alors que la pierre / matière sonore est non seulement ciselée, mais également figurative… S’interrogeant sur le pourquoi de cette figuration, on s’apercevra qu’elle est en fait narrative : on y parle d’un Ancien et d’un Nouveau Testament, des psaumes de David ou de Cantique des Cantiques, dont l’artisan–créateur nous livre une lecture voire une relecture à travers son art.

On peut alors s’arrêter au pas de la porte, s’en tenir à une vision d’ensemble rassurante, à peine dérouté par quelques questions auxquelles on n’aura pas su répondre… On gagnera pourtant à en franchir le pas, pénétrer dans le sombre édifice où l’on s’accommodera bientôt d’une autre luminosité, plus propice à l’éventuelle perception d’une sainte lumière … On pourra alors considérer l’édifice intérieur dans toutes ses dimensions, en évaluer l’agencement des différentes parties, discerner l’ornemental du fondamental, le redécouvrir sous un autre angle de vue : le retrouver encore à un autre moment de la journée, par une autre luminosité – la lueur vespérale des vêpres, qui ne se chantent qu’à la tombée du jour … Quitter enfin l’édifice, en ressentir la nostalgie du souvenir pour y revenir d’autant plus volontiers, l’œil et l’esprit aiguisés par le désir de voir et revoir, d’entendre et d’en entendre le propos

Il en est ainsi avec les Vêpres de Claudio Monteverdi alias Il Vespro del Monteverde. Leur beauté est unanimement connue et reconnue, elles nous charment et enchantent dès le premier abord, et cependant ,mieux on les connaît – de l’extérieur en tant qu’ auditeur, comme de l’intérieur en tant que musicien –, plus elles nous parlent, et mieux on les comprend, à l’image de tout chef-d’œuvre de toute discipline artistique confondue.

Et pourtant, qu’en sait-on, au juste, de cette œuvre d’un maître de chapelle alors happé par sa fonction, devenue œuvre d’art de l’humanité résistant à des siècles d’érosion ?… Qu’en a-t-on fait en leur temps, et qu’en fait-on de nos jours ?

Telle qu’elle nous est parvenue, la partition, cette notation suggestive et incomplète, nous pose à chaque pas dans l’édifice des questions auxquelles chaque interprète se doit de répondre, en tant que traducteur d’une écriture muette en une expression sonore : chacun y apportera une réponse personnelle certes en fonction de sa pratique musicale, mais encore de sa connaissance de l’œuvre, du langage musical, du contexte historique, artistique et liturgique.

La liste de ces interrogations serait sans doute trop longue à énumérer; parmi les questions récurrentes se pose celle de l’interprétation  « à un par voix » (soliste) ou en ensemble (chœur), celle du choix et de l’utilisation de l’instrument, en doublure des voix ou au sein de la basse continue, de la transparence de la polyphonie et de sa spatialisation, de la polychoralité et de la polyrythmie, de l’intégration du plain-chant et, le cas échéant, de la liturgie, des transpositions tacites de certaines pièces dans tel ou tel ton, de l’ornementation écrite et/ou improvisée du chanteur et de l’instrumentiste, de la prosodie et déclamation des faux-bourdons (écriture homophone dont le rythme n’est pas noté), de l’agencement des antiennes (non inclues dans la partition car sujettes aux différentes fêtes liturgiques) auprès des psaumes et des « concerti » (pièces solistiques écrites dans le Stil moderno ), du rôle du cantus firmus, véritable pierre angulaire de l’édifice sonore, des tempi et proportions rythmiques dans une notation qui n’est plus la nôtre, du rapport sonore entre voix et instruments, de la place du trinitaire Duo Seraphim dans une liturgie mariale, de l’option mantouane, vénitienne ou romaine du contexte de création historique…

Liste non exhaustive s’il en est !

La version que nous ferons entendre n’a aucunement pour but d’apporter une réponse définitive à ces questions, ni à bien d’autres encore, mais tout au plus des réponses plausibles et étayées, dans la lignée de la Historicaly Informed Performance , traduisible par “ Interprétation historiquement informée ”. De fait, la différence de contexte de restitution, par rapport aux lectures de l’époque du compositeur, impose parfois des solutions non historiques ou non normatives, dans une recherche d’authenticité de l’esprit, et non de la lettre…  Nous aurons donc notamment le plaisir d’entendre des femmes chanter ou jouer d’un instrument… ce que Monteverdi n’a sans doute pas eu la possibilité d’entendre de son vivant, dans le cadre de ses Vêpres données pour l’église catholique dans l’Italie du XVIIème siècle !

Notre but in fine sera de communiquer le plaisir toujours renouvelé du musicien, qui côtoie cette œuvre et la redécouvre avec un bonheur et une fraîcheur toujours déconcertants, qu’il s’agisse de la première fois ( pour nos jeunes choristes ) ou de la énième fois d’un nombre à 3 chiffres ( pour certains d’entre nous… ) qu’il les donne en public !

Enfin, le dessein de cet autre énième enregistrement de l’œuvre, outre l’aspect vivant, ludique et pédagogique que pourra lui conférer son documentaire visuel attenant, sera de nous plonger corps et âme dans la profonde spiritualité de ce qui reste à son origine un office liturgique, conçu par un fervent homme de foi qui fut ordonné prêtre sur la fin de ses jours…

Franchissez avec nous le pas-de-porte de ce sanctuaire sonore, patrimoine mondial de l’art sacré,  et laissez vous guider : vous reviendrez alors à Vêpres … dès que le loisir vous en sera donné !

ABeCeDario Vesperale

A) Antiphonarium in Assumptione

Fête majeure de la liturgie mariale, les antiennes (antiphonae) des Vêpres de l’Assomption de la Vierge ont été choisies dans le cadre de notre reconstitution liturgique.

Sans être un choix exclusif, elles s’enchainent dans leurs tons d’origine aux psaumes, hymne et Magnificat qui les suivent (exception faite à la 5ème antienne « Pulchra es et decora », transposée comme le « Lauda Jerusalem » qui la suit). Une exécution vénitienne de l’œuvre à l’église abbatiale « Santa Maria Gloriosa dei frari », où trône dans le chœur, la Vierge de l’Assomption du Titien, est une hypothèse des plus plausibles.

B) Basso Continuo Bassus Generalis

Intitulée « Bassus Generalis », la partie de basse continue qui soutient l’entièreté de l’œuvre a pu être exécutée par le seul orgue de tribune, comme en témoigne la mention « Voci sole nell’organo » (Laudate Pueri) ou encore la régistration d’orgue particulièrement détaillée du Magnificat.(Cf Magnificat/Organo)

Toutefois les instruments « d’ornement » de la basse continue dans notre version (Tiorba/arciliuto, arpa  tripla & viola da braccio) ont pu être rajoutés dans le cadre d’exécutions « pour la chambre ou chapelle des princes » (ad sacella sive principium cubicala accomodata), et conformément à la riche  iconographie du concert sacré de l’époque.(Cf DVD : coupole de Santa Barbara à Mantova)

C) Coro /Capella /Colla parte

Concernant la texture vocale et instrumentale, l’édition de 1610 -à un cahier par voix -laisse entendre qu’une exécution solistique est envisageable, voire préconisée ; ce qui ne signifie pas qu’elle est exclusive, à en croire les effectifs vocaux 3 à 4 fois plus importants que les 8 voix requises (10 dans le seul Nisi Dominus) tant à la chapelle ducale de Mantoue, qu’à la basilique Saint Marc de Venise. S’inspirant des indications « soli/tutti » rencontrées dans des Vêpres contemporaines à celles de Monteverdi (Amadio Freddi,  Nicolo Fontei, etc…), nous avons donc eu recours au « coro » ou « capella » (Maîtrise de Reims) ainsi qu’aux doublures instrumentales de rigueur (colla parte), lorsque la texture polyphonique ou encore le sens du texte (dans sa métaphore ou son affect) le suggéraient. De plus, c’est bel et bien l’importance de la fête liturgique qui jadis déterminait les effectifs adoptés, et non de pures raisons esthétiques ou acoustiques comme il en est en concert de nos jours…

D) Diapason – Diatessaron

Le diapason (pitch) adopté est au La à 465hz, soit un demi ton en dessus du diapason actuel à 440hz. A en croire les nombreux instruments à vents (cornets, saqueboutes, anches, flûtes et orgues) conservés à cette hauteur, il constitue une moyenne sinon une norme dans l’Italie du nord, du vivant de Monteverdi (c.1560 – 1640).

Il va également de pair avec des parties vocales majoritairement de tessiture médiane, et avec la transposition tacite à la quarte inférieure (Diatessaron) du Lauda Jerusalem et du Magnificat (Cf « Quarta bassa »).

E) Echo – Ezechiel

Effet « en trompe l’œil sonore » prisée par les musiciens-compositeurs du Seicento, l’écho est présent à trois reprises au cours des Vêpres :

  • Dans le « poème en écho » Audi coelum, par lequel il révèle pour la première fois le nom de Maria (en jeu de mot avec Maria, la mer), « prédit par le prophète Ezechiel ».
  • Sur le Gloria Patri du Magnificat, où il évoque la présence immatérielle de l’Esprit saint (« Et spiritui sancto» étant égrené par le cantus firmus, avant d’être repris orné par le ténor et son écho).
  • Au 7ème verset du même Magnificat « Deposuit potentes de sede» : l’instrumentation y est symbolique, les cornets évoquant les trompettes des « puissants renversés de leurs trône », tandis que le violon – instrument récemment accueilli à la cour et dans les cours des grands évoque les humbles alors élevés de leur condition. Toutefois, cette métaphore ne justifie pas pour autant le recours à l’écho… C’est donc du côté du « modèle » de ce verset qu’il faut chercher l’explication : en 1607, Monteverdi crée son Orfeo à Mantoue, qu’il fera publier à Venise 2 ans plus tard (une année seulement avant le « Vespro ). Le grand solo orné d’Orfeo du 3ème acte y fait entendre les échos de cornets et de violons, évoquant la grotte et les antres de l’enfer. Le « Possente spirito, e formidabil nume » – puissant esprit, et dieu formidable – a sans doute encore résonné aux oreilles de Monteverdi quand il écrit son 7ème verset de Magnificat « Deposuit potentes » (Il – Dieu- renverse les puissants). A l’image du double sens du « Domine ad adjuvandum » (cf DVD), y a-t’il une allusion à la puissance fragile du duc de Mantoue, son protecteur de peu d’égards ? « Lo dica Chi lo sa … »

F) Falso bordone (ou Faux bourdon) – Favellare

A la fois méthode d’harmonisation et pratique vocale liturgique, cette écriture strictement homophone (verticale) apparaît également à trois reprises au cors des Vêpres : dans le Domine ad adjuvandum où le « falso bordone »permet aux instruments de « sonner » le thème de la toccata d’Orfeo ; dans le Dixit Dominus en respect de sa tradition « in alternatum » (en alternance entre la capella gregoriana homophone, et la polyphonie ornée des voix solistes) ; enfin, sur le sicut erat in principio du Laetatus sum ( « comme il en était au début … de l’œuvre ! ). Point commun de tous ces passages: les rythmes n’y sont pas écrits dans les parties vocales… S’il suffit de suivre de la « bassus generalis » dans le Domine ad adjuvandum, « carte blanche » est laissée pour le reste aux chanteurs, ou au maestro da capella ! L’option suivie présentement est celle du « favellare in armonia », (raconter sur l’harmonie), en suivant la prosodie du texte déclamé – notation que l’on retrouve chez les romains G. Caccini et J. Landi notamment, ainsi que dans les Psaumes du disciple de Gabrieli, Heinrich Schütz (Venise 1619) Chant d’assemblée dans son essence, il est ici systématiquement confié à la capella-maîtrise.

G) Garbo – Gorgia

Ces termes inusités depuis apparaissent fréquemment dans les lettres de Monteverdi : le mot gorgia désigne la technique d’émission des ornements qui constitue le « cantar di garbo » ; la gorgia sollicite la gorge qui permet d’articuler chaque note de l’ornement. Monteverdi fait l’éloge d’un contralto entendu à Mantoue en … 1610, relatant qu’il possède « trillo assai bono e onesta gorgia » (un très bon trillo et une gorgia honnête !)

« Il garbo » réunit les notions de « cortesia, galanterie, grazie, manière, … » ; on parle alors de « cantar di garbo » ou « cantar polito » (le chant « poli ». Notre musicien-compositeur parle d’un chanteur de « assai di bella voci & boni garbi… » (Venise, 1624), et joue encore avec le diminutif de « garbetti » pour ces « petites galanteries vocales » ! (Venise 1627). Les vêpres regorgent de ces passages virtuoses en particulier pour les parties de ténor, faisant appel au « cantar di garbo » … et à une « buona gorgia » !

H) Hymnus/ Hymnarium

« Chant de célébration et de proclamation » dans son étymologie, l’hymne marial Ave Maris Stella est de par sa texture littéraire, et par conséquence dans son traitement musical, radicalement différent des psaumes qui le précèdent. Composé de 7 quatrains, son caractère strophique en fait ainsi entendre 7 fois la même mélodie ; en outre, Monteverdi évoque la pratique « in alternatim » qui consiste à ne chanter que les versets impairs, et à donner instrumentalement les versets pairs (sur l’orgue notamment). Il introduit ainsi une ritournelle qui va revenir quatre fois entre les versets 2 et 6. De par ces nombreuses répétitions, la question de l’ornementation se pose donc comme nulle part ailleurs dans le reste de l’œuvre. Conformément à la pratique ornementale intrinsèque à cette époque, on en entendra ici 4 versions de ritournelles différentes : la première « semplice », la seconde « accentuata », la troisième « diminuita per piu parti » (diminuée à plusieurs voix), la quatrième « passegiata a due canti» en réponse des deux cornets dans une alternance et combinaison des instruments obligés en réponse des deux cornets que sont les violini, cornetti, tromboni & viola da basso…

Les deuxièmes et troisièmes strophes chantées par une voix seule (Cantus puis ténor dans sa tessiture médiane) sont également ornées des « accenti » et autres « maniere » qui formaient véritablement les « bonnes manières » du « cantar polito & con grazia » minutieusement décrits du vivant de Monteverdi (1592-1620) et en particulier autour de 1600 (1592 – 1620).

I) Istromenti – Instrumentale

Nous avons évoqué les instruments mélodiques obligés (obligati) qui se retrouvent à travers l’œuvre (violini, cornetti, tromboni, viola da brazzo) ainsi que les instruments de fondement et d’ornement de la basse continue. On ne saurait oublier ces instruments mentionnés pour quelques mesures seulement au cours du troisième verset du Magnificat « Quia respexit humilitatem ancillae suae… ». La béatitude de la Beata Virgo Maria y est dépeinte par les sonorités de « flauto » (flûte à bec) qui évoque sans nul doute le concert angélique qui l’entoure (cf coupole de Santa Barbara/DVD). En revanche, « l’humilité de la servante du Seigneur » fait appel à deux vocables instrumentaux différents : « Piffaro (instrument à anche double) et « Fiffaro » (fifre ou flûte traversière )… Or, il devrait s’agir d’un seul et même instrument, afin d’en former la paire habituelle dans le cadre des parties obligées du Magnificat. S’agit-il d’une erreur d’imprimerie ? C’est peu probable, étant donné le soin apporté au Magnificat en particulier… D’une alternative laissée à l’interprète ? Ce n’est pas exclus, étant donné la symbolique d’humilité commune aux deux instruments, traditionnellement joués par les « Pastori & Villani » (bergers et paysans) … La porte entrouverte par cette alternative nous a fait opter pour un troisième instrument : le « cornetto muto » (cornet muet), dont la douceur du timbre contraste avec les cornets au début du verset auxquels il est demandé de jouer « con piu forza che si puo » ! …  (avec le plus de force que faire se peut ) … afin d’évoquer la puissance divine. Le « cornetto muto » n’est d’ailleurs pas étranger au répertoire marial, comme en témoigne un « Dialogus inter Mariam & peccatorem » de la même époque le mentionnant. Il s’agit donc d’une alternative d’ordre analogique, plutôt que « musicologique » … La raison n’a point entendu les raisons du cœur ! …

J) Justitias & Judicia sua Jerusalem

« Et judicia sua non manifestavit eis » (et il ne leur manifesta point sa justice dans son jugement) … C’est en ces termes que se conclue le psaume « Lauda Jerusalem » avant la doxologie de rigueur. Il rappelle sans équivoque la fin également belliqueuse du psaume précédant « Nisi Dominus » : « Non confundetur cum loquetur inimicis in porta » (il ne sera pas pris au dépourvu, voire déconcerté, quand ses ennemis seront à ses portes).

Les deux passages sont traités dans une manière semblable par Monteverdi, en rythmes syncopés ou « in risposta » (en réponse rythmique et resserrée) qui relèvent l’écriture de « battaglia », à l’image des batailles instrumentales prisées par les vénitiens. On peut s’étonner de ces évocations guerrières dans un office de Vêpres, à la Vierge. Toutefois, la victoire navale de Lepanto/ Lepante de 1571 dans la guerre veneto- ottomane, était encore en 1610, assez vive dans les mémoires pour justifier un tel procédé : à fortiori depuis l’institution 2 ans plus tard (1573) de la fête liturgique de la « Madonna della Vittoria », qui engendra elle-même celle de Notre Dame du Rosaire/ Madonna del Rosario. Il en allait de la sérénité de la « Serenissima Republica di Venetia… » et du proche duché de Mantoue dont elle faisait office de rempart sur l’Adriatique ! Alors âgé de 60 ans, Monteverdi écrit encore qu’il est de coutume d’aller sur la lagune et en musique, « rendere Grazie a Dio della felice vittoria navale ». (Venise, septembre 1627)

L) Liturgia – Laetatus – Loquebar

En miroir des conflits évoqués, le psaume Laetatus sum est une rogation de joie et de paix : « Rogate quae ad pacem… » ou encore « Loquebar pacem de te » : « pour toi Jerusalem, je demanderai la paix » ; étonnamment, il s’agit là du seul passage chromatique sur la partie de basse de toute l’œuvre. Le figuralisme du texte y est finement exprimé au second degré : le caractère tourmenté du chromatisme se résout sur la consonnance finale, de même que « vos tourments se résoudront dans la paix » …

A propos de la fonction liturgique de l’œuvre, certains considèrent à juste titre qu’il s’agit avec cette publication d’une riche palette de psaume, hymne, Magnificat (en 2 versions) et « concerti sacri » (ou concerts spirituels à une, deux et six voix) que l’on a pu chanter à de maintes occasions, au cours d’un office de vêpres entre autres… Cela s’explique pour plusieurs raisons :

– les psaumes ont pu être donnés pour la fête d’une autre Sainte (ils constituent le cycle féminin des Vêpres des Saintes femmes)

– les concerti Nigra sum et Pulchra es, extraits du cantique des cantiques, ont pu être donnés à l’occasion de toute fête mariale. (La bien-aimée y étant la métaphore de la Vierge Marie, le bien- aimé celle du Christ ou d’un Dieu trinitaire)

– le duo Seraphim, louange et invocation de la Trinité (mais également par un raisonnement théologique de la Vierge Marie : cf Frère Benoît/DVD) a pu s’inscrire dans la célébration de la « solennité de la très sainte Trinité ». De même, la fête de Santa Barbara a pu justifier cette invocation (cf texte de Denis Morrier + DVD). Cependant, il était alors d’usage, lors de l’office des Vêpres des fêtes majeures, de remplacer la reprise de l’antienne grégorienne censée suivre le psaume, par un « concerto sacro » (motetto) ou une pièce instrumentale (sonata, canzon francese o Bergamasca…). Ainsi le génie de Monteverdi a sans doute consisté à laisser carte blanche aux « maestri di capella » ayant eu la chance d’acquérir l’édition vénitienne de 1610 : « faites-en un usage occasionnel selon vos besoins… ou donnez le Vespro della Beata Vergine da concerto (son titre dans la partie de Bassus Generalis) dans son entièreté… si la richesse de votre capella vous le permet » !

 M) Magnificat – Magnificenzia ?…

Le cantique de la Vierge Marie a pour particularité de se voir proposer une alternative plus modeste au somptueux « Magnificat a 7 Voci con stromenti », qui fait appel à tous les instruments concertants évoqués ci-dessus. A défaut de ceux-ci, Monteverdi nous propose un effectif plus humble de 6 voix et basse continue, sans instruments concertants, dans lequel la riche registration de l’orgue donnera le change à la coloration instrumentale de la version présente. A ce propos, si la magnificence a toute sa place dans le cantique de la Vierge, c’est peut-être dans l’évocation de son humilité et de son humanité, que Monteverdi nous touche le plus profondément : en nous donnant à entendre cette première parole de gloire chantée, par une humble voix a capella (Magnificat !), il nous donne à voir un tableau de l’Annonciation, avec une Vierge Marie en posture d’humilité devant l’ange Gabriel…

Plus loin au cours du cantique, le verset « Esurientes implevit bonis » (littéralement : il remplit de biens ceux qui ont faim) nous offre un contraste saisissant : le trio inusuel de cornets y symbolise l’abondance, offerte aux deux seules voix féminines, qui chantent dans le plus grand dépouillement a capella. C’est ici bel et bien le cadre du Magnificat qui nous est donné de contempler, la « Visitation » de Marie à sa « vieille cousine » Elisabeth, toile que Monteverdi tisse et dépeint à nos yeux…

N) Nisi Dominus – Non confundetur

Le 4ème psaume Nisi Dominus nous offre un autre cas de figure de « sociologie des Ecritures » : pour la seule fois de toute l’œuvre, notre compositeur – et maître de la polyphonie la plus savante – écrit dans un style rythmique entièrement homophone (toutes les voix chantent en un même rythme), évoquant ici la musique populaire des « Villanelle ». Le texte du Psaume de David dit alors : « Si le Seigneur de garde pas la cité (civitatem), c’est en vain que veille celui qui la garde » ; de fait, ce n’est plus la musique d’église…mais bel et bien celle de la rue (calli, piazze & campi) qui nous est ici donnée à écouter !

O) Organo – Ornamenti

On a évoqué la pratique ornementale non écrite que peut suggérer une pièce strophique, ou encore le Colla parte des instruments jouant les parties vocales à l’unisson (cf cadences finales des psaumes Laudate Pueri, Nisi Dominus, Lauda Jerusalem, ornées par les cornets ou violons). En tant qu’instrument de fondement de la basse continue, l’orgue est parfois traité en tant qu’« instrument soliste », en absence de toute partie vocale ou instrumentale à « accompagner ». Son rôle ne se résout plus alors à la seule harmonisation de la basse, (« fondamento ») ; il doit en effet y adjoindre la mélodie (« ornamento ») sans laquelle sa prestation serait incomplète. Dans une lettre datée de septembre 1609 à Mantova (la partition des Vêpres est sur le point d’être éditée…). Le compositeur- instrumentiste, Claudio Monteverdi nous en dit long à ce sujet, ayant auditionné un musicien pour le duc de Mantoue : « Cerca poi di sonar l’organo, per la cognizione del contraponto suona… ma non gia per bonta di mano, che lui non ha mano da far tirate, ne gruppoli, né accenti, né altri adornamenti : e lui confessa non farne professione » !  Il tente bien de jouer de l’orgue… Il joue bien le contrepoint, mais il n’a pas l’agilité de main pour faire les traits, les accents et autres ornements… Mais il confesse ne pas en faire sa profession ! Quant à son jeu sur l’orgue, il joue (certes) en connaissance du contrepoint… mais pas pour autant d’agilité de la main, qu’il n’a pas pour faire les traits, les « gruppetti », les accents… ni tout autre ornement ! Mais (à vrai dire) il confesse ne pas en faire sa profession (…). Ainsi, notre organiste (et nos continuistes) ont taché de restaurer dans les passages de « basso continuo solo » les « tirate, gruppoli, accenti & adornamenti » qui manquèrent à Claudio lors de l’audition mantouane de septembre 1609 !

P) Proportioni – Prolatione

Un des soucis majeurs de la restitution musicale et sonore d’une œuvre du passé réside dans le choix des tempi à adopter par « l’interprète- traducteur » de cette source fragmentaire qu’est la partition. L’écriture rythmique des Vêpres présente au demeurant la problématique des proportions, entre temps binaires et ternaires, qui alternent dans la plupart des pièces qui les composent : certains contemporains de Monteverdi, tel Frescobaldi à Rome, iront très loin dans la subtilité de la notation rythmique et de leurs proportions, dans le but d’offrir une palette la plus large possible, en adéquation avec les fluctuations de tempi propres au « stil moderno ».

En musicien-compositeur peu soucieux de théoriser son art (il n’écrira jamais le traité promis dans son 5èmelivre de madrigaux, suite à la diatribe de son détracteur Artusi…), Monteverdi se contente à vrai dire d’une seule mesure binaire, indiquée par le signe C, symbolisant une mesure dans laquelle la semi-brève (ronde)est divisée en 2 minimes (blanches). On parle alors de « prolation mineure ». Afin de varier les tempi au sein de cette mesure binaire, notre compositeur-praticien fait appel à plusieurs reprises à la mention « Va suonatoadaggio » ou « si suona adaggio » au cours du Magnificat… C’est seulement sur le tout dernier verset de ce cantique qu’apparait le signe Ȼ ( C barré » / tempus diminutum), en référence à la notation de la génération passée ; de fait, on y chante le « sicut erat in pincipio » dans le style imposant et hiératique de son maître Ingenieri… « Comme il en était au commencement » de sa vie de jeune musicien !

Les mesures ternaires de la partition offrent quant à elles 3 alternatives de notation : la semi-brève (ronde) va donc se diviser en 3 minimes (blanches) ; on parle alors de « prolation majeure ». Le signe distinctif peut être un succinct 3/2, qui indique la proportion de sesqui-altera (latin) ou hemi-olia (grec), signifiant tous 2 « une autre moitié » (= 3/2). Cette « autre moitié » peut se rajouter, se juxtaposer au temps binaire : c’est le cas par exemple dans la sonata sopra Sancta Maria, dans laquelle le thème initial binaire se voit repris textuellement en mesure ternaire. On trouve également le signe « C barré 3/2 » à travers les pièces vocales indiquant un « tempus diminutum, prolatio major » ; le troisième temps se voit alors ici intégré à la pulsation binaire, ce qui occasionne une mesure ternaire plus rapide. (Gloria Patri du Laudate Pueri, etc…)

Enfin la sonata recèle une 3ème notation de mesure, appelée « color » (les notes de semi-brèves, jadis colorées sur les manuscrits, se voient noircies dans l’édition imprimée). Cette « color » offre une mesure ternaire plus rapide encore, équivalente à un « tempo presto » dans les indications agogiques, clairement audibles dans la sonata avant le retour à une mesure au « tempo primo » du 3/2. Ces trois types de mesures ternaires correspondent aux 3 caractères de tempi décrits par les théoriciens de l’époque, avec des mesures « tardior/mediocris/celerior » (lent, mesuré/médian, rapide) qui ne sont pas sans rappeler les caractères « molle/temperato/concitato » décrits par notre compositeur dans son 8ème livre de madrigaux…

Q) Questione della Quarta 

Une autre particularité de la notation du Vespro réside dans une convention de transposition à la quarte inférieure, connue et pratiquée par tout musicien au temps de notre compositeur, et méconnue ou toujours accueillie avec scepticisme de nos jours. En effet, le psaume Lauda Jerusalem et le cantique Magnificat sont écrits dans un « set de clefs aigües » appelées « chiavette » (« les petites clefs ») ; elles impliquent une transposition systématique « à la quarta bassa »,, voire à la quinte inférieure dans le cas du mode du Lauda Jerusalem. Cette transposition permet de ramener toutes les voix (soprano, alto, tenore, basso, et leurs dédoublements) dans leurs tessitures habituelles : les parties instrumentales obligées du Magnificat ( et notamment celles de cornet et violons) retrouvent leur ambitus conventionnel, par rapport au reste de l’œuvre et à tout l’opus de Monteverdi faisant appel à ces instruments,  l’Orfeo notamment imprimé un an plus tôt (1609), dont l’écriture pour ces instruments au cours du grand récit « Possente spirito » ressemble à s’y méprendre à celle du « Deposuit potentes ». Evoqué précédemment, le Diapason plus aigu d’un demi ton redonne une brillance aux instruments et aux voix, qui pourraient manquer dans une version « basse » (4a Bassa) au La=440. Le mélomane- musicien désireux de tout savoir sur cette question cruciale sur la restitution de l’œuvre,  pourra s’en référer à l’article référence dû à Andrew Parrott, publié dans la revue Early music (novembre 1984). (Transposition in Monteverdi’s Vespers of 1610 : an « aberration » defended).

R) Ritornelli – Rossi

Contrairement à certains recueils de Vêpres contemporains du Vespro de 1610, celui-ci ne contient aucune pièce instrumentale stricto-sensu. La « sonata » (genre instrumental) est écrite « sopra Santa Maria », c’est-à-dire sur la litanie de la Vierge « Sainte Marie priez pour nous ». Il ne reste donc que les « ritournelles » qui ponctuent le Versiculus « Domine ad adjuvandum », le psaume « Dixit Dominus », l’hymne « Ave maris stella », et le cantique « Magnificat », pour faire entendre ces quelques lignes de musique non textuées. Pour autant, la musique vocale de ces pièces est bel et bien à la source des quelques mesures instrumentales qui les ponctuent : la ritournelle en 3 temps du « Domine ad adjuvandum » préfigure son « Alleluia » conclusif, celles du « Dixit » reprennent les mélismes vocaux précédants des 6 voix sur les 6 parties instrumentales, tandis que le « ritornello »de l’Ave Maris stella reprend la sensuelle quarte diminuée mélodique de l’hymne (apport en guise de signature du compositeur sur la mélodie modale médiévale). Seules les ritournelles introductives des versets 3,4,7,8 et 10 du Magnificat sont des courtes pièces instrumentales thématiquement indépendantes, et pour cause : la seule partie vocale présente y est celle du cantus firmus, qui étire de manière imperturbable son fil d’Arianne jusqu’à la dernière note de l’œuvre… Le nom de Salomone Rossi a été évoqué parmi ceux des musiciens ayant côtoyé Monteverdi à la cour de Mantoue ; les « sinfonie & gagliarde » per violini o cornetti qu’il y publie en 1607-1608 se dévoilent parfois dans les ritournelles du Magnificat de son maestro di capella… Elles attestent de l’influence réciproque que les deux instrumentistes compositeurs ont exercé l’un sur l’autre, durant cette période si fertile à la cour des Gonzague.

S) Spiritui – Sancto

Si le nom de Marie ( Maria ou de « Virgo Maria »  n’apparait qu’une fois au cours de ces Vêpres de la Vierge (Audi coelum Verba mea), la mention de l’Esprit Saint (Spiritu Sancto) revient en revanche non moins de neuf fois : 3 fois à 3 reprises, en symbole d’une Trinité accomplie, dont il établit le lien avec le Père, le Fils et la mère du Christ conçu par l’Esprit Saint, (ainsi que le souligne le frère Benoît : cf texte +DVD). Présent dans leversiculus introductif, les 5 psaumes, l’hymne et le cantique, la 9ème mention du « paraclet » apparait dans le trio du « Duo Seraphim », parachevant ainsi cette louange à la Trinité, et par son truchement à la « Vierge Marie faite mère de Dieu ». A cette occasion, Monteverdi fait appel à une variante archaïque du « falso bordone », faisant chanter les trois voix (Pater, Verbum, et Spiritu Sancto), en tierce et sixte parrallèle dans une lumineuse symbologie numérique (3+6=9=3×3). A travers la technique d’écriture du « faux bourdon » déjà pratiquée au XVème siècle, il rappelle ainsi l’éternelle perrenité de la Sainte Trinité, en véritable clef de voûte théologique de son Vespro della Beata Vergine.

T) Trillo- tremolo

A propos de symbologie, le même « Duo Seraphim » tient la 7ème place centrale des 13 numéros que contient le Vespro, à l’image des tableaux de la cène d’un Vinci ou d’un Tintoretto : le Christ y est représenté debout, au milieu des 12 apôtres assis de par et d’autre. Ce « Duo » qui devient « Trio » est aussi le troisième concerto qui trône au beau milieu d’une œuvre dédiée à la spiritualité, indépendamment de sa genèse mantouane qui la vit peut-être dédié à d’autres Saintes qu’à la Vierge Marie.

Pour autant, le « Duo » fascine par le foisonnement ornemental qui s’en dégage : dans une joute oratoire, les deux séraphins clament (clamabant) tout d’abord leur louange à la sainteté du Seigneur. Le Trio qui s’ensuit n’est plus séraphique : Dieu le père, le verbe incarné et l’Esprit Saint y sont personnifiés, afin de révéler le mystère de la Trinité. Le 1er duo suivi du trio chante sur le même mode de « canto di garbo », déployant les plus beaux artifices de la technique de « gorgia ». « Mi piace udire dedeitati cantar di Garbo » , «  Il me plait d’entendre chanter les déités en « canto di garbo » ( style de cour/chant orné), (Venise, 1616), nous précise le maestro dans un de ses lettres. Le Tremolo (tremblement mesuré de la voix) et le trillo (répercussion rapide d’une même note) s’enchaine systématiquement, repris « in dialogo » par les deux séraphins, puis « in riposta » par les trois figures divines. Ici, le génie de Monteverdi n’a pas consisté à « inventer » ces figures ornementales qui sont clairement cataloguées dans les traités d’ornementation vocale de son vivant ; en revanche, il est le premier à écrire en toutes notes ce qui était généralement laissé au bon vouloir du chanteur, et de sa « disposizione di voce » (aptitude à l’ornementation vocale). Une fois de plus, Claudio Monteverdi se fait le témoin créatif d’une pratique et d’une tradition vivante de son époque, qui semble dès lors ne pas avoir pris une ride de nos jours.

U) Unisono – Unum sunt

Dans le cadre du langage polyphonique, l’unisson de 2 parties vocales est restreint aux cadences finales, et aux croisements de deux voix en « mouvement contraire ». A deux reprises pourtant, notre compositeur de la « seconda pratica » va se permettre d’avoir recours à cet « unisson proscrit » quand le texte le justifie, voire le réclame à ses yeux : au cours du duo Seraphim, encore et toujours hors des sentiers battus : « Et i tres unum sunt », n’est que le constat de l’unité trinitaire (« trina unita ») ; aucune césure, aucune virgule ne saurait s’immiscer dans cette assertion : l’accord à 3 voix ( « Et les trois ») s’enchaine donc implacablement sur l’unisson des 3 parties qui « ne font qu’un », à l’encontre de toute bienséance contrapuntique… Notre madrigaliste avait prévenu ses détracteurs dans la préface de son cinquième livre en 1605 : « Il moderno compositore fabrica sopra li fondamenti della verita ». Le compositeur moderne conçoit sur les fondements de la Vérité !

Le seul autre passage de l’œuvre ayant recours au procédé d’unisson de plusieurs voix, correspond à la doxologie (Gloria Patri & filio & spiritui sancto) du Nisi Dominus. En effet, les 2 chœurs qui se livraient alors bataille sur le texte « non confundetur cum loquetur  inimicis sui in porta » (cf « Nisi »), se réconcilie dans la paix divine/dans la paix du Christ : ils chantent donc à l’unisson, l’écriture à 10 voix se muant alors à 5 voix (cantus, altus, tenore, bassus + cantus firmus). A aucun autre moment des trois autres pièces en double-chœur (Laudate pueri, lauda Jerusalem, Ave Maris stella) notre maître de polyphonie ne se permettra cette « aisance d’écriture », que justifie la fin belliqueuse du 127ème psaume de David.

V) Vox- Voce-Voci

On ne saurait conclure cet abécédaire succinct sans évoquer l’instrument principal de l’œuvre : la vox naturalis, ou voce umana. Notre voix humaine a donné son nom aux tessitures de la polyphonie à 4 voix, qui régit toujours l’ambitus de l’espace sonore des Vêpres : cantus/canto, altus/alto, tenore, bassus/basso ; or, l’écriture polyphonique des Vêpres est à 6,7,8 et 10 voix : les pièces à 6 voix (Dixit dominus, Laetatus sum, Audi coelum…) occasionnent un dédoublement du ténor (= quintus) et du cantus(=sextus). L’écriture à sept voix rajoute un « septimus » bassus en dédoublement de la basse ( Lauda Jerusalem, Magnificat). Celle à 8 voix en double chœur (Laudate pueri, Ave Maris stella) rajoute encore une partie d’alto « septimus/altus » afin de former les 2 quatuors du « doppio coro » ou « cori spezzati »( chœurs divisés). Enfin, le Nisi Dominus dit « à 10 voix » est en fait à 9 voix réelles, le cantus firmus unique et identique y étant spatialisé et dédoublé dans chacun des deux chœurs à 5 voix. Ces 2 voix de ténor rajoutées au double quatuor, permettent donc la construction de ce véritable édifice sonore, en métaphore de l’incipit Nisi Dominus aedificaverit domum (si le Seigneur n’édifie la maison… en vain travaillent ceux qui la construisent)

Quant à l’instrument vocal lui-même, le musicien Claudio Monteverdi nous en parle fréquemment au détour de ses lettres, et nous en dit ce qu’il attend à travers les brefs comptes-rendus de ses concerts, offices… ou auditions ! – une belle voix, certes ! (una bella voce/ assai bella voce… /assai di bella voce)… mais encore « gaillarde et claire » (voce gagliarda…/ ha voce non troppo chiaracanta alquanto/melancholico !)… et tout autant « aisée et agile »… ce ne vorebbe una sforzata… bella voce e comoda gorgia / bella voce & buoni garbi ! ) … et tout aussi « longue », c’est-à-dire une voix de grande tessiture (près de deux octaves sont nécessaires pour chanter les parties de cantus et de bassus du Vespro…). « una bella e longa voce ! voce fino alla sua maggior altezza, e bassezza … » ma e baritono… en non basso ! »

Si les voix de basso, tenore et alto (« ténor aigu » ou contra-tenore) sont immanquablement confiées aux voix d’hommes, qu’en est-il des voix de « soprano »/cantus-sextus ? Les voix de castrats, tant prisées par l’opéra italien du XVIIIème, ne semblent pas avoir été la panacée auprès de notre maestro di capella : « ha un tal castrato voce non troppo chiara, e gorgia durotta ! » Ce castrat-là n’a pas la voix si claire… et la « gorgia » un peu dure ! ) nous dit-il depuis Venise en 1627.

Au cours de la même année, il nous apprend que les enfants – présents dans le coro /capella à l’office- ne sont pas exempts d’audition, et qu’ils censés avoir quelques notions de pratique vocale et ornementale : « Vi è ancora un putto de qualche 11 anni… Ha qualche gorgietta, e qualche trillo ! » Il y a aussi un enfant de 11 ans : il a un peu de gorgia… et un peu de trillo !

Si les voix de femmes étaient absentes de l’office, elles n’en ont pas moins chanté la musique sacrée du maestro Claudio dans tout au moins deux cas de figures : – les chapelles des couvents et « ospedali », dont les riches dotations permettaient parfois de constituer d’amples chapelles et de riches bibliothèques musicales. – les chapelles princières dans lesquelles se donnaient les « concerti sacri », ainsi que rappelé sur le frontispice de l’édition de 1610 (ad sacella sive principum cubicula accomodata).

Le maestro di capella de Santa Barbara appréciait les belles voix féminines, à en croire ses lettres de décembre 1610/janvier 1611, alors que ses Vêpres commençaient à se vendre à Venise et à se jouer à travers toute l’Italie… « La Signora Andriana  benissimo cantare sonare e parlare ho udito »… J’ai entendu très bien jouer, chanter et parler Madame Andriana…  et encore « da particular grazie alle composizioni, apportando diletto al senso »… Elle donne une grâce particulière aux compositions, apportant délectation aux sens…

Enfin, les voix de falsettistes étaient sans doute plus présentes sur les parties de cantus (clef d’ut 1ère ligne), comme en attestent différents témoignages (« il soprano Giovanni Luca, che canta alle stelle… » le soprano Giovanni Luca, qui chante jusqu’aux étoiles …) qu’ils ne l’étaient sur la voix d’altus, (Ut 3ème ligne) généralement attribuées à des « Tenorini » ou ténors aigus.

Dans le but d’une synthèse des goûts et des couleurs vocales… nous aurons le plaisir d’entendre sur les parties de canto/soprano de notre version, des voix d’enfants, d’hommes et de femmes… qui feront montre à tour de rôle de leurs « belle voix, gaillarde, claire, aisée… et agile ! »

ABeCeDario Vesperale

A. Antiphonae in Assumptione
B. Basso continuo – Bassus genralis
C. Coro – Capella
D. Diapason – Diatessaron
E. Echo – Ezechiel
F. Falso bordone – Favellare
G. Garbo – Gorgia
H. Hymnus – Hymnarium
I. Istromenti – Instrumentarium
J. Justitias & Judicia- Jerusalem
K. 000
L. Liturgia – Loquebar
M. Magnificat – Magnificenzia
N. Nisi Dominus – Non confundetur
O. Ornamenti – Organo
P. Proportioni – Prolatione
Q. Quarta bassa o Quinta bassa ?
R. Ritornello – Rossi
S. Spiritui Sancto
T. Trillo – Tremolo
U. Unisono – Unum sunt
V. Vox – Voci
W. OOO
X. OOO
Y. OOO
Z. Zifare

Ce site utilise des cookies afin de vous offrir une expérience optimale de navigation. En continuant de visiter ce site, vous acceptez l’utilisation de ces cookies. En savoir plus

Ce site utilise des cookies afin de vous offrir une expérience optimale de navigation. En continuant de visiter ce site, vous acceptez l’utilisation de ces cookies. En savoir plus